Chef de guerre des protestants durant les guerres de Religion qui les opposent aux catholiques en France de 1562 à 1598, Agrippa d'Aubigné est un farouche adversaire du catholicisme. Selon le poète, les atrocités de ce conflit sont dues aux hommes d'Église qui manipulent le peuple en lui faisant passer des crimes pour des actions demandées par Dieu.
Mais en ce temps infect tant vaut
la menterie1,
Et tant
a pris de pied2 l'énorme flatterie,
Que le flatteur honteux, et qui flatte à demi,
Fait son Roi non demi, mais entier ennemi.
Et qui sont les flatteurs ? Ceux qui portent les titres
De conseillers d'État3 ; ce ne sont plus
bélîtres4,
Gnathons5 du temps passé ;
en chaire6 les flatteurs
Portent le front, la grâce et le nom de
prêcheur7 :
Le peuple, ensorcelé, dans la chaire émerveille8
Ceux qui au temps passé chuchotaient à l'oreille9,
Si que10 par fard nouveau, vrais
prévaricateurs11,
Ils blâment les péchés desquels ils sont auteurs, [...]
D'une feinte rigueur, d'un
courroux12 simulé
Donnent pointe d'aigreur
au los13 emmiellé. [...]
Un prêcheur
mercenaire14, hypocrite effronté,
De qui Satan avait le savoir acheté,
A-t-il pas tant cherché fleurs et couleurs nouvelles
Qu'il habille en
martyr15 le bourreau des fidèles16 !
Il nomme bel exemple une tragique horreur,
Le massacre justice, un
zèle17 la fureur ;
Il plaint un Roi sanglant, surtout il le veut plaindre
Qu'il ne pût en vivant assez d'âmes étreindre ;
Il fait vaillant celui qui n'a vu
les hasards18,
Studieux l'ennemi des lettres et des arts,
Chaste le malheureux au nom duquel je tremble
S'il lui faut reprocher
les deux amours ensemble19 ;
Et fidèle et
clément20 il a chanté le Roi
Qui, pour tuer les siens, tua sa propre foi.