Des restes colorés de colliers de missangas dansent entre les mains de Jorge Suleima, comme dans celles de tous les enfants de l’île. Sans doute parce que ces perles de verre ont été façonnées par la mer. Ce qui est certain, c’est que la petite île de Mozambique, au nord du pays [province de Nampula], semble s’être à jamais assoupie - même s’il ne s’agit peut-être que du pouvoir de fascination de la mer, de la poésie brûlante de l’océan Indien ou du balancement idéalisé d’un dhow, ces bateaux légers à voile unique qu’utilisent aujourd’hui encore les pêcheurs du cru… Cette île “désexiste”, comme dirait Mia Couto*.
Sur la route qui mène de Nampula à l’île [150 km], on peut avoir un avant-goût de cette “désexistence”. Une kyrielle de villages aux maisons recouvertes de branchages de cocotier, le macuti, surgissant fièrement au milieu de nulle part, entre les baobabs. Dans l’un de ces principaux bourgs, Namialo, Le Tropical, un restaurant, est encore la meilleure antichambre de l’île. C’est là que sont fabriqués les colliers de missangas. Le Tropical est géré par un couple de musulmans qui prie au son des chaînes de télévision d’Arabie Saoudite et accumule depuis des décennies les souvenirs du Benfica, le club de foot mythique de Lisbonne. Ici, les années, les siècles ont marqué la côte orientale de l’Afrique. Plus particulièrement peut-être l’île de Mozambique, dont les siècles de commerce, d’échanges, d’aventures et de mésaventures se superposent et s’entremêlent pour finir en perles de couleur dans des mains d’enfants comme Jorge. Malgré ce fracas, l’île, elle, n’a pratiquement pas changé. Le temps peut bien passer, il n’a pas réussi à altérer le charme de l’architecture de la ville de pierre et de chaux, au nord de l’île, qui, à l’époque coloniale, était exclusivement habitée par des Portugais (est-ce à cela que ressemblait l’Algarve médiévale ?). Il est possible, par contre, que notre siècle finisse par en venir à bout, comme le siècle écoulé a su effacer la maison dans laquelle, d’après la légende, le grand poète portugais Camões aurait écrit son Ile des amours**. Ce qui est certain, c’est que l’isolement et les figuiers sauvages, avec leurs racines surgissant à l’air libre, sont un péril bien plus considérable que les siècles. Malgré leur beauté envahissante, ce n’est pourtant pas les figuiers que l’UNESCO a inscrits sur la liste du patrimoine culturel de l’humanité en 1991. C’est bien le fort de São Sebastião, datant du XVIe siècle, le palais de São Paulo, ancienne résidence du gouverneur portugais, le vieil hôpital, la chapelle de Notre-Dame-de-Baluarte, considérée comme la plus ancienne construction européenne dans l’hémisphère Sud [bâtie en 1522], les temples hindous et les mosquées, tout ce qui fait de l’île un creuset culturel peu ordinaire. Sur l’île de Mozambique, seule la mort n’est pas oecuménique : chaque religion possède son propre cimetière.
“Cette île a quelque chose de magique”, affirme Lena, qui est elle-même l’une des figures magiques de l’île. Lena a laissé des coeurs brisés dans plusieurs villes ; c’est par amour qu’elle est partie et qu’elle est ensuite revenue. Elle s’occupe à présent d’un camping à Lumbo, sur le continent, avec une superbe vue sur l’île. Un pont étroit et branlant, sur lequel deux voitures seulement peuvent se croiser, enjambe depuis 1966 les 3 kilomètres qui séparent le continent de ce “radeau” de terre chargé d’Histoire. Avant cette date, jamais aucune voiture n’avait circulé sur l’île.
Lena fait face à l’île de Mozambique avec fierté, sa fierté de Macua, l’ethnie dominante du nord du pays. “J’aime tellement cette île qu’il m’est devenu impossible d’y vivre. D’ici, je peux la contempler jour après jour.” Lena regrette que l’île soit si petite, avec ses 3 kilomètres de long et ses 500 mètres de large, mais elle ne s’éloigne jamais du “radeau”. Elle se plaint de l’exiguïté d’un lieu où l’océan Indien pointe toujours à l’horizon, mais ne peut résister à son mystère. “Parfois, les habitants de l’île parlent des choses mystérieuses qui s’y produisent. C’est vrai, cette île a quelque chose de magique”, confirme avec une fascination non dissimulée Manuel Freire, directeur de l’hôtel Omuhipiti situé sur l’île elle-même.
L’océan Indien est partout et baigne également l’autre partie de l’île, avec la même éloquence bleutée dont il embrasse la “ville de pierre et de chaux” [portugaise], du nord de l’île. La population noire de l’île s’y est toujours réfugiée et plus particulièrement durant les dix-sept années de guerre fratricide, entre l’indépendance du Mozambique, en 1975, et le traité de paix signé en 1992. C’est de ce côté de l’île que l’on trouve la foire des Capulanas, le marché qui se tient dans la rue 24 heures sur 24 et dans un décor traversé d’éclats de rire. C’est là aussi que se trouve la baie des pêcheurs d’où partent les dhows. On y fabrique encore aujourd’hui ces fragiles embarcations, identiques à celles que Vasco de Gama a pu découvrir en 1498.
La “ville” de Macuti est un monde à part. Depuis ses origines, elle se niche dans l’excavation laissée par l’extraction de la pierre dont les Portugais se sont servis pour construire les 450 maisons de la moitié nord de l’île. Composé exclusivement de Noirs, ce quartier a pratiquement toujours été pauvre. L’ancien fossé couvre les quartiers de Litine et d’Esteu et s’enfonce au-dessous du niveau de la route. Quand il pleut, tout est envahi par l’eau et il devient alors impossible de circuler. L’électricité et les toitures de zinc sont les plus récentes traces de modernité de cette ville qui fut la première capitale du Mozambique portugais [de 1752 à 1898]. Encore aujourd’hui les trois citernes du fort de São Sebastião permettent d’approvisionner en eau les enfants et les femmes qui s’y rendent quotidiennement. La population avoisine les 13 000 âmes, un chiffre élevé si l’on considère l’absence d’infrastructures. La meilleure solution pour permettre à l’île de Mozambique de respirer un peu serait de réduire la densité de la population. C’est pourquoi, les autorités veulent encourager le déménagement de certaines familles vers Lumbo, la localité située juste en face, sur le continent.
Mais la “ville de pierre et de chaux” portugaise et la “ville” de Macuti sont en fait tout autant jumelles qu’étrangères. Elles ont partagé la gloire, le passé et le salpêtre. Elles ont aussi en commun ce mystère que l’on devine sur les visages que les jeunes peignent au neiro, une racine qui symbolise la virginité et qui est aussi un produit de beauté. Enfin, les deux “villes” partagent aussi le même horizon crépusculaire chargé de mélancolie sur lequel se découpe le coucher du soleil et que la nuit adoucit enfin. Quand l’île ferme les paupières.

Carnet de route

Y ALLER Même si le Mozambique est desservi par plusieurs compagnies aériennes régionales et internationales, il n’y a pas de vol direct Paris - Maputo. Au départ de Paris, Air France et la South African Airways offrent des allers-retours non directs (escale à Francfort ou Johannesburg) pour environ 700 euros.
D’Afrique du Sud, on peut choisir entre le car qui relie Johannesburg à Maputo, pour 28 euros environ, mais aussi le train ou l’avion. A Maputo, de nombreux cars assurent la liaison le nord du pays et l’île de Mozambique (province de Nampula), celle-ci étant reliée au continent par un pont de 3 km.
La période idéale pour découvrir le pays s’étend de mai à août, lorsque les températures sont plus agréables et les nuits plus fraîches. La saison des pluies commence vers novembre pour finir en avril.
SE LOGER La Casa Branca (00-258-6-610076), sur la côte est de l’île dispose d’une vue magnifique pour ses chambres simples ou doubles, respectivement pour 15 et 22 euros. Pour les voyageurs aguerris, la meilleure adresse est Private Gardens (Casa de Luís), l’un des nombreux gîtes de la “ville” de Makuti, qui propose des chambres pour 7,50 euros par personne. On peut choisir le camping et ses bungalows de l’autre côté du pont pour seulement 4 dollars par personne.
A VISITER Sur toute l’île, temples hindous, églises et mosquées attestent de la richesse historique de ce bout de terre et lui donnent son atmosphère si particulière. En 1991, l’île a été classée au patrimoine historique de l’humanité par l’UNESCO, en reconnaissance de son héritage architectural et culturel unique, dont le Palais et la chapelle de São Paulo, construits en 1610.
Transformée en musée, l’ancienne résidence des gouverneurs laisse admirer ses ornements du Portugal, d’Arabie, d’Inde, de Chine. On peut en profiter pour visiter l’église de la Miséricorde et le musée des Arts sacrés, tout proches.
A l’extrémité nord de l’île se trouve le fort São Sebastião, le plus ancien et le mieux conservé d’Afrique subsaharienne, qui date de la fin du XVIe siècle. Juste derrière se trouve une autre rareté : la chapelle de Notre-Dame-de-Baluarte.
Pour les aficionados de plages, une excursion sur la presqu’île de Chocas, sur le continent, s’impose. La petite île de Goa, à 5 km environ - qui tient son nom de l’époque où le Mozambique était administré depuis le comptoir portugais de Goa, en Inde - mérite le détour pour son phare et sa plage.
Le tufo : cette danse d’origine arabe est pratiquée dans le nord du pays et sur l’île de Mozambique. Exécutée par les femmes, elle s’accompagne de petites percussions, les taware, lors des fêtes religieuses musulmanes ou d’autres événements.

Courrier International
Carnet de route

Y ALLER Même si le Mozambique est desservi par plusieurs compagnies aériennes régionales et internationales, il n’y a pas de vol direct Paris - Maputo. Au départ de Paris, Air France et la South African Airways offrent des allers-retours non directs (escale à Francfort ou Johannesburg) pour environ 700 euros.
D’Afrique du Sud, on peut choisir entre le car qui relie Johannesburg à Maputo, pour 28 euros environ, mais aussi le train ou l’avion. A Maputo, de nombreux cars assurent la liaison le nord du pays et l’île de Mozambique (province de Nampula), celle-ci étant reliée au continent par un pont de 3 km.
La période idéale pour découvrir le pays s’étend de mai à août, lorsque les températures sont plus agréables et les nuits plus fraîches. La saison des pluies commence vers novembre pour finir en avril.
SE LOGER La Casa Branca (00-258-6-610076), sur la côte est de l’île dispose d’une vue magnifique pour ses chambres simples ou doubles, respectivement pour 15 et 22 euros. Pour les voyageurs aguerris, la meilleure adresse est Private Gardens (Casa de Luís), l’un des nombreux gîtes de la “ville” de Makuti, qui propose des chambres pour 7,50 euros par personne. On peut choisir le camping et ses bungalows de l’autre côté du pont pour seulement 4 dollars par personne.
A VISITER Sur toute l’île, temples hindous, églises et mosquées attestent de la richesse historique de ce bout de terre et lui donnent son atmosphère si particulière. En 1991, l’île a été classée au patrimoine historique de l’humanité par l’UNESCO, en reconnaissance de son héritage architectural et culturel unique, dont le Palais et la chapelle de São Paulo, construits en 1610.
Transformée en musée, l’ancienne résidence des gouverneurs laisse admirer ses ornements du Portugal, d’Arabie, d’Inde, de Chine. On peut en profiter pour visiter l’église de la Miséricorde et le musée des Arts sacrés, tout proches.
A l’extrémité nord de l’île se trouve le fort São Sebastião, le plus ancien et le mieux conservé d’Afrique subsaharienne, qui date de la fin du XVIe siècle. Juste derrière se trouve une autre rareté : la chapelle de Notre-Dame-de-Baluarte.
Pour les aficionados de plages, une excursion sur la presqu’île de Chocas, sur le continent, s’impose. La petite île de Goa, à 5 km environ - qui tient son nom de l’époque où le Mozambique était administré depuis le comptoir portugais de Goa, en Inde - mérite le détour pour son phare et sa plage.
Le tufo : cette danse d’origine arabe est pratiquée dans le nord du pays et sur l’île de Mozambique. Exécutée par les femmes, elle s’accompagne de petites percussions, les taware, lors des fêtes religieuses musulmanes ou d’autres événements.

Courrier International